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lumière sur lumière
1 mai 2007

la voie soufie

L’accès à l’intériorité, c’est toute la Voie
par Jean-Louis GIROTTO

« Nous percevons l’extérieur des choses, mais l’intérieur nous est caché

et occulté. Le corps se trouve dans ce monde, mais l’intériorité se situe

dans une autre dimension, un autre Royaume.

L’accès à cette intériorité, c’est toute la Voie. » (Sidi Hamza al Qadiri al Boutchichi)

Les paroles prononcées par sidi Hamza, guide spirituel de la voie Qadiriya Boudchichiya, ont souvent pour objet d’aider les disciples dans leur cheminement. Elles peuvent aussi parfois aborder des thématiques universelles et constituent alors un support de méditation pour celui qui est tout simplement en quête du sens de sa propre vie. Elles apportent un éclairage précieux car les mots et les images choisies par sidi Hamza sont profondément actuels et touchent, par leur simplicité, directement aux problématiques qui se posent de nos jours. C’est notamment le cas pour les paroles rapportées ici qui synthétisent en quelques phrases tout l’enjeu d’une démarche personnelle visant à parcourir la dimension de l’intériorité.

Pour les être humains, la difficulté principale pour aborder les espaces de l’intériorité réside dans le fait que ces choses restent cachées, et bien souvent invisibles pour les regards qui s’arrêtent à l’aspect extérieur. Ainsi, il devient tentant d’affirmer qu’en fait ce qui nous est caché n’existe pas. Cette opinion, de plus en plus répandue dans les sociétés modernes où la dimension du Sacré s’est estompée, est révélatrice d’une humanité qui a peu à peu oublié une part d’elle-même au cours d’une aventure qui l’a conduit à se concentrer presque exclusivement sur le monde des choses matérielles.

Une Parole, rapportée par la tradition musulmane, dans laquelle Dieu S’exprime à la première personne rappelle la perspective métaphysique de l’univers : « J’étais un Trésor caché, J’ai aimé à être connu et alors J’ai créé le monde ». Dans cette optique, le monde n’est pas coupé des Réalités cachées, mais il est au contraire le support à partir duquel il devient possible à l’homme de retrouver leurs traces en dépassant une vision extérieure limitative et en perçant les mystères de l’intériorité.

L’intériorité dont il s’agit se situe bien au-delà de ce que l’on désigne en psychologie par l’inconscient. Symboliquement, elle peut être rapprochée de l’état de sommeil profond ainsi que le suggère René Guénon dans Les états multiples de l’être. Le degré de conscience commun des êtres humains ne permet pas d’accéder à ce niveau d’intériorité qui reste caché. Ce niveau ne peut être atteint que par celui qui a reçu un enseignement initiatique authentique s’abreuvant à la Source transcendant toutes les formes religieuses. Cependant, cet enseignement prend nécessairement pour socle une forme religieuse ou traditionnelle afin de pouvoir être communiqué selon une modalité compatible avec l’individualité humaine.

Cette intériorité à laquelle fait allusion sidi Hamza est le lieu où notre nature humaine rencontre les autres états d’existence qui ne font pas partie du monde terrestre et qui obéissent donc à d’autres critères. Ce sont par exemple les états que l’on qualifie généralement d’angéliques. Il y a alors un processus de dévoilement qui conduit à une approche éclairée de l’état humain et de ses prolongements.

Dans son cheminement, le soufi parcourt différentes étapes qui incluent l’extinction de l’individualité dans la Présence divine, puis la subsistance de cette individualité qui est ramenée à une conscience séparative : tout est alors perçu dans l’Unité divine.

Cette étape marque une expérience nécessaire dans le processus d’ouverture conduisant à la réalisation spirituelle. Cependant, une réalisation n’est complète que si le disciple est ensuite plongé dans l’état de subsistance (baqa’) au cours duquel les choses sont de nouveau perçues avec leurs différences. Le disciple est ainsi ramené aux conditions propres à la vie humaine et se conforme aux lois qui régissent le monde, selon l’exemple du modèle prophétique.

Cette seconde étape ne supprime pas les acquis de la première étape, mais leur permet de s’harmoniser dans l’individualité humaine. Ainsi, selon l’adage, « le soufi est celui qui a les pieds dans la boutique et le cœur relié avec l’au-delà ». Sidi Hamza met souvent en garde le disciple sur l’impact que pourrait avoir sur lui des formes de miracles visibles et spectaculaires. Il ne s’agit pas de s’attacher à des phénomènes, aussi stupéfiants soient-ils, mais de se concentrer sur une quête intérieure qui transforme notre rapport aux choses et aux êtres.

De ce point de vue, le rôle du guide spirituel est de favoriser un miracle intérieur beaucoup plus précieux que n’importe quel phénomène : celui de faire accoucher une âme lumineuse à partir d’une nature humaine imparfaite.Le comportement extérieur du guide spirituel ne doit pas se caractériser par des prouesses qui feraient penser qu’il est un surhomme. Au contraire, un des éléments permettant de s’assurer que la réalisation spirituelle d’un être est totalement accomplie est que son apparence extérieure est celle d’un homme « comme tout le monde ».

Ainsi, pour les soufis, l’exemple de Mansour al-Hallaj (858-922) est particulièrement édifiant. Hallaj fut crucifié pour avoir affirmé en public : « Ana-l-haqq ! » (je suis la Vérité). A cet égard, il ne peut pas être considéré comme un modèle accompli dans le soufisme, mais plutôt comme un homme qui n’avait pas reçu un enseignement complet et qui était parcouru par de puissants états d’extase. Les paroles qu’il prononça, et qui étaient inadmissibles pour la société de l’époque, provenaient d’un état spirituel particulier : Hallaj était alors noyé dans la Présence divine sans pouvoir retrouver une sobriété de comportement minimale.

La spiritualité soufie est trop souvent l’objet de marques de rejet basées pour la plupart d’entre elles sur des affirmations péremptoires qui voudraient réduire les soufis, soit à des groupes de gentils illuminés déconnectés des problèmes de ce monde, soit à de fervents musulmans capables d’endurer dans la solitude des épreuves dignes du Moyen-Age. En fait, s’il est vrai que certaines voies soufies ont connu des phases de dégénérescence qui les ont considérablement éloignées de leur enseignement initial, il est tout à fait faux d’en tirer des généralités valables pour toutes les branches de cet enseignement.

Bien loin d’être marginales et négligeables, les valeurs issues du soufisme irriguent en profondeur des expressions de la spiritualité musulmane aussi diverses que celles provenant par exemple de l’Afrique noire, du Maghreb, de Turquie, d’Inde ou d’Indonésie. Ce sont ces valeurs qui permettent à la religion de garder son esprit et de ne pas tomber dans un formalisme étroit. On peut même affirmer que les pays musulmans où la présence du soufisme est importante parviennent généralement à mieux endiguer les poussées d’intégrisme que les pays où cet apport spirituel a été combattu ou perverti.

La voie soufie peut alors à juste titre être appelée « la voie du milieu », c’est-à-dire le chemin qui parvient à se démarquer des approches extrêmes que sont le fondamentalisme, d’une part, et un modernisme désacralisant, d’autre part. C’est aussi le chemin par lequel toute forme de rencontres et de dialogues est possible car elle peut s’instaurer sur la base de témoignages et d’expériences vécues, à l’opposé des dogmatismes étroits et des débordements prosélytes.

(issu de http://www.soufisme.org)

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